
Par Sorj Chalandon
ISBN : 978 2 246 822815 0 (18/08/2021)
Roman
330 pages
Ma critique:
Une fois de plus, j’ai pris du plaisir à entrer dans ce livre de Sorj Chalandon. Je l’ai lu au mois de janvier de cette année, il y a donc presqu’un an mais je n’avais pas encore trouver le temps (ou l’énergie nécessaire) pour en partager une critique. La voilà!
Le thème du père qui n’a jamais été ce qu’il prétend être avait déjà été abordé dans Profession du père du même auteur. Mais, même avec ce petit goût de redite, Enfant de salaud est à la hauteur de ce que les amateurs de Chalendon attendent. On y retrouve sa plume, limpide, cinglante, acide parfois et la profonde colère, la rancune qui peuvent miner la vie d’un adulte qui sent que son père lui a menti depuis son enfance. Dur et triste à la fois !
Plus que ce qui a été dit à l’enfant, ce sont les non-dits, les silences qui parfois se contredisent qui ont miné l’enfance de celui qui n’a jamais osé demandé clairement à son père qui il était vraiment !
Cette tension, Sorj Chalandon la met brillement en scène en contant le procès Barbie pour lequel il était journaliste et la demande de son père qui veut que son fils lui trouve un passe-droit pour y assister, fort de toute son admiration affichée pour le régime tortionnaire nazi et proclamant que la France commet une lourde erreur en cherchant à condamner l’homme droit et ferme que fût Barbie ! Tout le roman, le lecteur se trouvera coincer entre ce père qui éructe de multiples provocations lancées à la tête de son fils et le silence – la lâcheté diraient certains – du fils que la peur de connaître la vérité tétanise.
Et on peut le comprendre puisqu’il découvre qu’en réalité son père a joué sur tous les tableaux : nazi avec les nazis, patriote résistant avec les résistants, il s’est moqué avec tous de la notion de droiture. Les mots, les attitudes, les cartes, uniformes et insignes ne servant qu’à tromper ceux qui pourraient s’opposer à ses intérêts personnels du moment. Caméléon sans aucune âme, il s’est joué de tous ceux qui l’ont soupçonné, interrogé, jugé. Et dans les guerres qu’il racontait fièrement au fils, il s’est toujours donné les rôles de sauveur et de héros. Vil menteur !
Ta guerre avait fasciné mon ami historien. Un jour que nous dînions ensemble, il m’a demandé si je n’aurais pas préféré avoir un père « seulement »collabo. Quelque chose de simple, une saloperie sur quoi pleurer, cogner, qu’il me faudrait pouvoir admettre ou condamner, mais voilà que j’avais hérité du pire. Je me débattais dans l’épais brouillard qui i entourait ton lac allemand. Tu restais une question et ta guerre était une folie. Elle ne me permettait ni de te comprendre, ni de te pardonner. Une fois de plus, je t’en ai voulu. Ta vérité ne valait pas plus que tes mensonges.
Ce n’est donc pas à un mais à deux procès que le lecteur assiste. Celui d’un criminel de guerre patenté, Klaus Barbie et celui d’un père versatile, le tout savamment mêlé dans un dosage qui maintiendra le lecteur entre l’envie de connaître les tenants et aboutissants de ce célèbre procès de Lyon et celle de casser la gueule à ce père qui ne mérite pas ce titre tout en donnant des pieds au cul du fils pour qu’enfin il s’impose à son père et lui fasse cracher la vérité, rien que la vérité et toute la vérité !
Bref, du vrai Chalandon, à partager sans modération !
Ce qu’en dit l’éditeur:
Un jour, grand-père m’a dit que j’étais un enfant de salaud.
Oui, je suis un enfant de salaud. Mais pas à cause de tes guerres en désordre papa, de tes bottes allemandes, de ton orgueil, de cette folie qui t a accompagné partout. Ce n’est pas ça, un salaud. Ni à cause des rôles que tu as endossés : SS de pacotille, patriote d’occasion, résistant de composition, qui a sauvé des Français pour recueillir leurs applaudissements. La saloperie n’a aucun rapport avec la lâcheté ou la bravoure.
Non. Le salaud, c’est l’homme qui a jeté son fils dans la vie comme dans la boue. Sans trace, sans repère, sans lumière, sans la moindre vérité. Qui a traversé la guerre en refermant chaque porte derrière lui. Qui s’est fourvoyé dans tous les pièges en se croyant plus fort que tous : les nazis qui l’ont interrogé, les partisans qui l’ont soupçonné, les Américains, les policiers français, les juges professionnels, les jurés populaires. Qui les a étourdis de mots, de dates, de faits, en brouillant chaque piste, Qui a passé sa guerre puis sa paix, puis sa vie entière à tricher et à éviter les questions des autres. Puis les miennes. Le salaud, c’est le père qui m’a trahi.
La dernière phrase de la citation est puissante : «Le salaud, c’est le père qui m’a trahi.» Je n’ai rien lu encore de cet écrivain mais selon ton article, c’est tout même fort.
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J’avais lu de Sorj Chalandon un roman dont j’ai oublié le titre et qui se passait chez des mineurs, avec un héros mythomane…
Son écriture est assez proche d’un style journalistique, efficace et percutant. Merci de cette présentation intéressante ! Bonne journée à vous !
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Probablement « Le jour d’avant » ( https://frconstant.com/?s=Le+jour+d%27avant ) Bonne journée à toi aussi.
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Oui, c’est bien « le jour d’avant ». Merci d’avoir palié mon trou de mémoire. Bon week-end !
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