
de Eugène Ebodé
Editions: Gallimard (2 octobre 2014)
dans l’excellente Collection Continents Noirs
EAN: 9782070146314
192 pages
Ma cote: 9 / 10
Ma chronique:
C’est une évidence, le racisme et son cortège de négation de l’autre est encore souverain dans bien des milieux, des modes de paroles, des pensées et, sauf volonté expresse de vigilance de tous les instants, personne ne peut prétendre y échapper totalement. Il nous faut donc, plus que jamais, nous mettre à l’écoute des sages, de l’autre. Dans le cadre du défi littéraire de Madame lit, j’ai donc choisi de relire « Souveraine magnifique » de Eugène Ebodé. Mon choix de reprendre un livre de ma bibliothèque a été dicté, pour une part par le confinement (je ne passe plus guère dans les magasins et je n’aime pas les commandes sur Internet) et, d’autre part, par le fait que ce livre voyageur me revenait après être passé dans les mains de plusieurs amis, connaissances lecteurs et lectrices qui, pour la plupart, me disaient avoir apprécié cette approche du drame de 1994 au pays des mille collines, le Rwanda. Ce livre me paraît rester d’une nécessaire actualité.
L’auteur, écrivain Camerounais, a reçu pour ce titre le Grand prix littéraire d’Afrique noire en 2015. Il se met en scène comme étant celui venu du pays des crevettes (Cameroun vient du portugais Camerões signifiant crevette.) désireux de comprendre ce qui s’est passé en 1994 au Rwanda. Rien que cet aspect est déjà une richesse, vouloir s’ouvrir au Monde pour comprendre ce qui se passe chez nos voisins. Sans aucun doute pour mieux comprendre aussi ce qui peut se passer chez nous, en mal comme en bien. A nous de le vouloir!
Souveraine Magnifique, est une rescapée des massacres rwandais. Elle retrace sa lente quête de justice qui débouchera sur l’accompagnement d’une vache, Doliba, cogérée par le bourreau et sa victime ! Plus qu’un « conte africain », une tranche d’humanité à ne pas laisser filer !
Dans un langage tout africain, gonflé de sagesses ancestrales, de métaphores, de palabres, de silences et de temps consacrés à conter pour faire mémoire, l’auteur nous introduit à une double question :
Que s’est-il vraiment passé lors de cette saison des machettes durant laquelle des massacres ethniques ont été perpétrés sans que nos consciences européennes ne s’en offusquent immédiatement ? Pourquoi ce « laisser-faire » … même si, après coups, le tribunal international (TPI) s’est saisi de quelques procès exemplaires, à tout le moins se voulant exemplatifs ?
Un chemin de conciliation, de reconstruction d’un avenir commun est-il possible entre les victimes et les génocidaires ? Comment rendre compte de ce qui s’est passé en ouvrant un avenir ?
Avec verve et empathie, dans un maniement simple, chaleureux et imagé de cette langue française que l’auteur maîtrise parfaitement, le lecteur est pris par la main et invité à ouvrir les yeux. Il existe un devoir de mémoire qui doit nous pousser à dénoncer les thèses négationnistes et à nous souvenir des faits, sans juger les personnes, mais sans aucune complaisance pour les forces sataniques qui poussent l’Homme à accepter de détruire son semblable plutôt que de lui porter assistance.
Comment toutes ces équations vont-elles se résoudre ? Par la raison du plus fort ? Par la médiation des sages assis sur l’herbe ? Par la colère et de nouvelles tueries ? Ah non ! Si la tuerie était une solution, on le saurait. … En revanche, le point de vue des survivants est une chose qui ne se discute pas. Heureux soit qui recueille leurs paroles comme on extrait une pierre précieuse de la roche ou de la boue. Et leurs propos doivent pénétrer les esprits pour devenir des passerelles de prévention et de mémoire…
« Heureux soit qui recueille leurs paroles .. et les transforment en passerelles humanitaires. Voilà bien le fondement même de ce livre… À lire, absolument, en gage de volonté d’engagement contre toute barbarie toujours présenrte et malheureusement encore à venir !
Ce qu’en dit l’éditeur:
« … J’ai donc voulu voir Souveraine Magnifique, cette rescapée des vastes massacres qui se sont abattus sur le Rwanda en 1994 avec la fureur de cyclones sanglants. C’est le pouls battant, mais la tête froide, que j’ai frappé à la porte de la jeune femme. On ne sait jamais qui vous scrute derrière des rideaux à peine frémissants. On ignore ensuite quel être, surgissant des fumeroles d’une épouvantable histoire, vous invitera à découvrir sur les marches du soir les fantômes qui peuplent et crucifient sa mémoire. Tout au long de nos conversations, ses souvenirs, ses confessions, sa colère moite, sa rage intacte portaient encore, vingt ans après la tragédie, trace des cris, des râles et des chuchotements venus d’outre-tombe. Ma rencontre avec Souveraine Magnifique et la vache Doliba, qu’elle cogérait avec le bourreau de ses parents, m’a montré combien la sagesse des anciens a pu voler au secours des temps modernes englués dans leur morale et leurs procès. Depuis les brumes bleutées des collines rwandaises jusqu’aux eaux rougeoyantes du Ruzizi, cette rivière qui sépare plusieurs pays de la région des Grands Lacs africains, j’ai entendu la voix de Souveraine Magnifique, son c?ur, son âme. »
Eugène Ébodé.
Magnifique comme le dit le titre! Je note pour le bilan.
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