
de Jonathan Littel
Editions: GALLIMARD (13/09/2006)
EAN : 978 2070 780976
Ma cote: 9 / 10
Ma chronique:
Lire « Les bienveillantes », de Jonathan LITTEL (chez Gallimard, 2006), c’est entrer en folies.
Folie d’abord, de s’attaquer à 900 pages qui retracent, selon le point de vue d’un officier SS allemand, le long chemin qui a conduit tant d’hommes à suivre l’idéal social- nationalisme et permis tant d’atrocités, de violences et de dénis de la personne humaine durant cette seconde guerre mondial. (Ceci dit en passant, cette « seconde » risque d’être la deuxième tant la bêtise humaine est encore capable d’en générer une troisième!) Les 900 pages sont d’autant plus folles à mes yeux de lecteur francophone qu’elles sont truffées de vocabulaire allemand et que le détour par le glossaire m’a semblé insupportable.
Mais, faisant abstraction de cette lecture quelque peu ardue, j’ai plongé dedans et j’ai été accroché, pris par les tentacules de la folie la plus raisonnable et stupide qu’il m’a été donné de rencontrer dans mes lectures.
Folie raisonnable d’un homme, représentatif de tant d’autres, qui accepte comme correcte l’idée du bienfondé d’une idéologie, le national – socialisme. Dans sa logique, poursuivre l’idéal socialiste est le moyen de rendre, enfin, au peuple, le pouvoir de décider de ce qui est bien et bon pour lui. Raisonnable, bien sûr ! Mais voilà, comme il est impossible de demander, effectivement, l’avis à chacun, il semble juste de s’en référer à ce que dit celui qui est sensé les représenter tous, Hitler! Folie plus déraisonnable, bien sûr!
D’autant plus déraisonnable que cet idéal croit, en même temps, à la suprématie d’une race, et donc, en toute logique, veut exterminer tous ceux qui ne sont pas de purs allemands?
Mais la logique du Dr Aue, le héros de cette histoire fictive (mais, probablement très représentative de ce qui se passait dans la tête de bien des acteurs du drame nazi) est de croire au discours ambiant considéré comme correct et donc de centrer sa vie sur cette volonté d’agir pour que cette suprématie allemande triomphe! Raisonnable … quoique, la mise en oeuvre de l’extermination juive ne sera donc jamais abordée par lui en termes d’humanité. Seuls les buts d’efficacité, de productivité, de soutien logistique à la cause arienne seront pris en compte! Pure folie !
Folie encore ( à moins que ce ne soit une méthode géniale de manipulation des consciences!) que cette segmentation des tâches et responsabilités dans la grande chaîne de destruction massive de « tout impur, nuisible, inutile ou malveillant »!! Chacun n’est responsable que d’un aspect et, même fautif ou manquant d’humanité, il peut se sentir juste devant les fautes « bien plus énormes » que d’autres commettent en amont ou en aval de son « poste de travail »! Folie au combien efficace pour engendrer des génocides… Ce livre met parfaitement au jour cette manière d’agir, façon qui se double d’une évidente rivalité entre les protagonistes d’un même camp, les envies génératrices de coup bas, les courses à la gloire productrices de tant d’excès au-delà même d’une stricte application des consignes déjà tellement déviantes et meurtrières!
Pour ajouter un zeste de folie supplémentaire, l’auteur fera de son héros, un homosexuel complètement déjanté ce qui obligera le lecteur consciencieux à se taper une vingtaine de pages de fantasmes sexuels assez peu utiles, à mes yeux, à la compréhension du parcours de ce Dr Aue. Ce dernier ira jusqu’au bout de sa logique, violent, destructeur, sans âme véritable … jusqu’au bout donc de la déraison!
Ce livre est lourd (pas seulement par ses 900 pages), il est noir, violent, pauvre en humanité et triste miroir de ce que peuvent être les hommes lorsqu’ils sont opportunistes, indifférents et enfermés dans une logique dépourvue d’humanité! Ce livre fait peur! Comment sentir, voir venir ces courants extrémistes et y résister? Comment ne pas succomber au politiquement correct distillé par des petits chefs, des propagandistes, des puissants et des graines de dictateurs ou de fanatiques?
Un livre que j’ai aimé par l’espace de réflexion qu’il ouvre. Un livre qui nous renvoie au miroir de nos consciences… Nous, « en ces temps-là », quelle aurait été notre logique ? Qu’aurions-nous suivi comme idéologie ?
Ce qu’en dit l’éditeur:
« En fait, j’aurais tout aussi bien pu ne pas écrire. Après tout, ce n’est pas une obligation. Depuis la guerre, je suis resté un homme discret ; grâce à Dieu, je n’ai jamais eu besoin, comme certains de mes anciens collègues, d’écrire mes Mémoires à fin de justification, car je n’ai rien à justifier, ni dans un but lucratif, car je gagne assez bien ma vie comme ça. Je ne regrette rien: j’ai fait mon travail, voilà tout; quant à mes histoires de famille, que je raconterai peut-être aussi, elles ne concernent que moi ; et pour le reste, vers la fin, j’ai sans doute forcé la limite, mais là je n’étais plus tout à fait moi-même, je vacillais, le monde entier basculait, je ne fus pas le seul à perdre la tête, reconnaissez-le. Malgré mes travers, et ils ont été nombreux, je suis resté de ceux qui pensent que les seules choses indispensables à la vie humaine sont l’air, le manger, le boire et l’excrétion, et la recherche de la vérité. Le reste est facultatif. »
Avec cette somme qui s’inscrit aussi bien sous l’égide d’Eschyle que dans la lignée de Vie et destin de Vassili Grossman ou des Damnés de Visconti, Jonathan Littell nous fait revivre les horreurs de la Seconde Guerre mondiale du côté des bourreaux, tout en nous montrant un homme comme rarement on l’avait fait : l’épopée d’un être emporté dans la traversée de lui-même et de l’Histoire.
Un immense livre même si la lecture est souvent complexe et qu’il faut parfois s’accrocher
J’aimeJ’aime
Des années et des années qu’il est dans ma bibliothèque et qu’il m’effraie autant qu’il me tente… Merci pour cette belle chronique en tout cas 😊
J’aimeJ’aime
Litterapriscilla: J’ai mis du temps aussi avant de le commencer. Mais le point de vue en vaut la peine. Bonne lecture quand tu le décideras.
J’aimeJ’aime
Je trouve ton billet vraiment meilleur que le mien. Tu réussis très bien à transmettre le ressenti durant cette lecture. Bravo pour ton billet. Je le noterai dans mes références pour le bilan. Au plaisir!
J’aimeJ’aime
Merci, madame lit pour ce compliment sur ma chronique. C’est vrai que ce livre m’a beaucoup interpellé.Comment, pourquoi en arrive-t-on là? C’est effrayant… et tellement banalisé! Un livre et des chroniques, toutes à méditer!
J’aimeAimé par 1 personne