De Alain Giorgetti

Edition : Alma

ISBN : 978 236279 463 6

Ma cote : 9 / 10

Mon avis :

Une petite merveille que ce roman qui nous dit tout à la fois la singularité de chaque parcours de migrants et l’universalité de ceux-ci. Alain Giorgetti, funambule des mots, se tient en parfait équilibre entre le manque total de précisions de lieu, de temps ou de personne qui ouvre à l’universalité et le souci du détail qui, à tout moment, replace le lecteur face au personnage, à l’endroit et à l’époque des souvenirs, constats ou espoirs évoqués.
Avec une maîtrise parfaite du souffle respiratoire du lecteur, l’auteur lui donne d’accompagner Adèm dans les seules certitudes qui soient : le jour succède à la nuit et chacun doit se relever et faire face au paysage.
Non seulement, Alain Giorgetti nous parle d’un instant qui dure une nuit, moins même, le temps d’une marée qui vient mourir sur un rivage mais, en même temps, par ce roman, il nous raconte la vie entière, le quotidien d’aujourd’hui, celui d’hier ou l’espéré de demain. Derrière le visage d’Adèm, couché sur la plage, cet enfant devenu trop tôt presqu’adulte, qui a froid, dont les yeux se piquent de sable, d’écume et de givre, les membres s’engourdissent et les pensées filent d’hier à demain en tentant de comprendre aujourd’hui, il y a tous les visages, chacun unique, de tous ceux qui ont migré, qui se déplacent de nos jours ou l’envisageront demain. Ces trajectoires singulières ont toutes pour dénominateur commun l’appartenance à une Humanité qui se dérègle, dysfonctionne, retarde sur l’instant T à vivre et pousse les assoiffés d’espoir sur les routes de l’exil, de la soumission acceptée aux passeurs et vers des rencontres dont il faut toujours se méfier alors même qu’elles sont chaleureuses et profondément humaines … parfois.
Au coeur de l’horrible, ce livre touche avec délicatesse et poésie à l’intime et au collectif de l’Être. Il aborde le temps comme un temps à vivre. Un vrai bonheur, une interpellation de première nécessité !

Merci à Babelio et aux éditions Alma pour cette très belle découverte.

Ce qu’en dit l’éditeur :

Adèm est allongé sur la plage, incapable de bouger. Pour quitter son pays, il a payé très cher sa traversée. Malheureusement, l’embarcation a fait naufrage. Où sont les autres ? Qu’est devenue sa soeur avec qui il se trouvait ? Attendant que le jour se lève et la venue peut-être des secours, il se souvient de toute son histoire. Enfance insouciante dans la montagne, ombres de la dictature, disparition de son père enlevé par la milice, de sa mère partie le rejoindre. Puis la fuite avec sa soeur, les camps, l’espoir têtu d’arriver de l’autre côté de la mer, là où il est permis d’espérer un futur.
Les souvenirs et les pensées d’Adèm se mêlent au rythme des vagues. Il s’accroche à sa mémoire afin de conjurer la nuit qui menace de l’engloutir. On ne sait pas d’où il vient, ni quelle langue il parle, ni comment s’appelle son pays, mais ses paroles nous emportent en un long poème faisant écho à tous les exils. Au nôtre ?

Citations :

  • Je voudrais juste pouvoir me lever. Me mettre debout, et me retourner enfin pour faire face au paysage. Pour regarder de l’autre côté. Tendre vers demain.
  • Depuis que je suis échoué, je fais les cent pas dans les couloirs de mon existence. Je vais, je viens, je reviens avec l’illusion de mener une conversation avec moi-même, alors que je ne fais que suivre le mouvement qui m’est imposé. Serais-je capable, là, tout de suite, de m’arrêter de penser à tout ça, et de me lever comme un seul homme ? De replier mes jambes, de pousser sur mes coudes et de foutre le camp de cette putain de plage ? Non. Je ne parviens pas à fixer quoi que ce soit. Je veux dire, qui pourrait ressembler à de la réalité. A un morceau de réalité, quelque chose pouvant être saisi par mes yeux à défaut de l’être par mes mains. J’aimerais pouvoir suivre des traces, mettre mes pas dans ceux de quelqu’un d’autre. Mais il n’y en a pas. Qu’est-ce que je fais là ? Je ne devrais pas être là ou plutôt, je ne devrais plus y être. Ce n’est pas ce qui était prévu. Vingt minutes de traversée, une demi-heure au plus…
  • Il faut toujours écouter le vocabulaire employé par l’ennemi, car il est réversible, disait Maman. Ceux qui ont sans cesse les mots de vertus, d’intégrité, de pureté ou d’honneur à la bouche en sont généralement dépourvu. Les fascistes aiment utiliser les mots usagés de la République. C’est leur péché mignon. Ils nous instillent leur poison, mais dans des seringues dorées. Il ne faut plus se mentir.
  • Il y avait ceux qui en voulaient au monde entier et ceux qui en voulaient tout court. Ceux qui étaient prêts à tout et ceux qui ne transigeaient sur rien. Certains mentaient très bien, d’autres très mal. Certains avaient des torts, d’autres leurs raisons.
  • L’infini n’est pas dans les étoiles ni dans les océans mes enfants, il est en nous.
  • C’est terrible de s’habituer à la peur. D’en faire son animal de compagnie, à moins que ce ne soit l’inverse.
  • Est-ce que tu sais comment ils appellent les camps de réfugiés ? Des « jungles » petit-frère. T’as bien entendu, des jungles. Mais on est où là ? Ils ont perdu la tête ou se l’enfonce dans le sable. Ils font exprès, c’est ça ? Ils ont tout oublié ou font semblant d’oublier ? Nous sommes la mémoire dont certains ne veulent pas.

Remarques :

  1. L’auteur, Alain Giorgetti, né en 1963, vit à Strasbourg. Ce livre est son premier roman. Il explique, dans un exercice toujours périlleux, les raisons de son écriture. Ces pages sont intéressantes… quoique, les ayant appréhendées dès la lecture du roman terminée, je me suis privé d’un temps d’intériorité à propos de ce que j’avais lu et ressenti. C’est peut-être dommage. En effet, à mes yeux, s’il est intéressant de connaître les raisons d’écriture d’un auteur pour ne pas se lancer dans des interprétations abusives, il reste que le roman, une fois publié, appartient autant aux lecteurs qu’à son auteur. Et ce qu’en perçoit un lecteur, même s’il s’éloigne de l’intention de la plume, reste primordial et fondamentalement ‘juste’ comme point de vue. On pourrait, bien sûr, débattre de cette idée… preuve, s’il en est, qu’elle est bonne ! Je reste donc en interrogation sur l’intérêt de terminer l’impression d’un roman par une note explicative à propos de son origine…
  2. La nuit nous serons semblables à nous-mêmes est un vers extrait du poème « Combien de fois en sera-t-il fini de nous ? » de Mahmoud Darwich (1941-2008). Ce poète de langue arabe est à (re)découvrir !  En 1999, sous le titre « Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? », Actes Sud à publier un recueil de poèmes traduit en français par Elias Sanbar pour lequel l’éditeur disait : C’est, comme toujours, au croisement de l’expérience individuelle la plus intime et de la mémoire collective que se situe ici Mahmoud Darwich. Dans une poésie qui prolonge les mythes du Proche-Orient ancien mais aussi les grandes odes de l’Arabie antéislamique pour dire l’exil, le temps suspendu, et une identité irréductible, enracinée dans la langue arabe.  La lecture du roman de Alain Giorgetti nous ramène immanquablement à ce croisement entre l’intime et le collectif. Pas étonnant donc que ce choix pour le titre.

Un commentaire sur « La nuit nous serons semblables à nous-mêmes. »

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