
De Aurélie Jeannin
Edition: HarperCollins, France
Collection Traversée
ISBN: 979 1033 904 472
Ma cote: 8 / 10
Mon avis:
Dans cette collection, j’avais déjà découvert « La science de l’esquive ». Voici le deuxième roman que j’ai pu lire grâce, une nouvelle fois, à NetGalley, France et aux éditions HarperCollins. Merci pour leur confiance réitérée.
Préférer l’hiver est l’histoire déroutante de deux femmes, mères et filles qui enfouissent dans cette saison que d’aucuns disent morte les raisons de leurs deuils. L’une est la mère, l’autre, sa fille, la narratrice. Toutes deux ont perdu un fils. Au fil de l’histoire, le lecteur apprendra les circonstances de ces morts… mais est-ce là l’essentiel ? Le chemin est la destination bien plus que le point d’arrivée…
La mort d’un enfant étant indicible, elles sont retournées vivre hors du monde, en forêt, dans une cabane, au coeur du froid glacial qui correspond à leur état d’âme. Elles s’y racontent avec pudeur, poésie et arrogances dans un tressé de mots loin de tout discours.
D’une ligne à l’autre, le ton se calque sur leur désespérance solidement ancrée dans ce qui pousse leurs vies à l’espérance. C’est donc doux, tendre et violent à la fois ! La vie se déroule au ralenti, presque sans parole, le lecteur suivant le rythme peut alors percevoir que l’hospitalité du monde tient davantage dans le peu qu’il offre avec courtoisie que dans la course effrénée qui est la nôtre pour y puiser bien plus que le nécessaire. Quand tout se glace, le rythme de vie ralenti, les gestes deviennent mesurés, les emprunts à la Terre légitimes.
Troublante évocation que cette association du deuil avec l’hiver. Mais l’écriture est si belle que le lecteur plonge dans ce pays inhospitalier où les corps et plus encore les cœurs se craquellent en tentant de libérer les sentiments qui, gardés, pourraient les enraciner dans la mort. Or, elles veulent vivre ! Même s’il faut pour cela passer par cette vie où la parole est inutile, où le silence crie bien plus fort, où un regard et même la fuite de ce dernier raconte mieux le coeur de l’histoire que des mots.
Et donc, pour moi lecteur appelé à chroniquer ce livre, difficile de trouver les mots assez puissants pour disséquer les maux qui stigmatisent ces deux âmes. Il faut oser atteindre le noyau de leur espérance. Au-delà des mots qu’il me faut trouver, je lis et berce ma réflexion dans l’art d’écrire de Aurélie Jeannin. D’une plume souple mais singulière elle mêle présent et passé en torsadant ce lien puissant entre mère et fille. Un lien qui se révèle capable d’augurer d’un à-venir à laisser percoler à travers les gestes quotidiens qui, tous, montrent l’envie de ces femmes de survivre et non plus, comme elles le diront, de sous-vivre.
L’auteure a choisi comme vecteur de reconstruction les livres. Dans cet hiver glacial, si elles ne parlent pas beaucoup, les deux femmes lisent énormément. Elles ne se racontent pas leurs lectures, elles échangent seulement quelques phrases ou citations qui invitent à un nouveau regard sur le beau, le bon, le bonheur simple de vivre.
Ce roman ouvre à la beauté simple d’un monde qui reste à découvrir et à habiter dans le respect de tous, en bannissant nos prétentions de dominateurs ou de prédateurs au-delà des besoins. Une invitation à être du monde et non à régner sur lui.
« Préférer l’hiver » est un roman à la fois sombre et lumineux. C’est le temps d’un travail de défragmentation de nos certitudes et de nos replis vers le passé. Un temps de travail où la terre se prépare à de nouvelles semailles et de nouvelles moisons. Un temps pour qu’advienne une terre nouvelle, celle qui a besoin de nous comme nous avons besoin d’elle.
Ce qu’en dit l’éditeur:
« Maman et moi vivions ici depuis un peu plus de trois ans quand nous avons reçu le coup de fil. Au milieu des pins, des chênes et des bouleaux, au bout de ce chemin sans issue que deux autres propriétés jalonnent. C’est elle qui m’avait proposé de nous installer ici. Et je n’étais pas contre. J’avais grandi dans cette forêt. Le lieu m’était familier, et je savais que nous nous y sentirions en sécurité. Qu’il serait le bon endroit pour vivre à notre mesure. »
À distance du monde, une fille et sa mère, recluses dans une cabane en forêt, tentent de se relever des drames qui les ont frappées. Aux yeux de ceux qui peuplent la ville voisine, elles sont les perdues du coin. Pourtant, ces deux silencieuses se tiennent debout, explorent leur douleur et luttent, au cœur d’une Nature à la fois nourricière et cruelle et d’un hiver qui est bien plus qu’une saison : un écrin rugueux où vivre reste, au mépris du superflu, la seule chose qui compte.
Dans un rythme tendu et une langue concise et précise qui rend grâce à la Nature jusqu’à son extrémité la plus sauvage, Aurélie Jeannin, dont c’est le premier roman, signe un texte comme une mélancolie blanche, aussi puissant qu’envoûtant.
Merci pour cet article si bien écrit et qui donne envie de lire ce livre. Bonne soirée
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Une bien belle critique ! J’aime cette idée « Un temps de travail où la terre se prépare à de nouvelles semailles et de nouvelles moissons. » C’est un livre magnifiquement écrit, sensible, d’une rare acuité psychologique. 🙂
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«Comme une mélancolie blanche», c’est beau ça…
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