Un imaginaire musical

Par Karol Beffa, Guillaume Métayer et Aleksi Cavaillez

Editions : Seuil – Delcourt (2019)

ISBN : 978 2413 013 372

Ma cote : 8/ 10

Ma chronique :

Je ne peux que remercier chaleureusement Lecteurs.com et les éditions Seuil-Delcourt pour la confiance qu’ils m’ont accordée en me confiant ce « Ravel, un imaginaire musical » à chroniquer.

Avec comme focale la personnalité de Maurice Ravel, ce récit est celui de l’Histoire culturelle des années 1875 à 1940.  

En unissant les mondes de la musique, du dessin et des lettres, Karol Beffa, pianiste, compositeur et musicologue, a initié une collaboration originale avec Guillaume Métayer, poète, chercheur et traducteur et Aleksi Cavaillez, artiste pluridisciplinaire réalisant, ici, sa première bande dessinée.

Le défi était de taille, raconter et dessiner l’imaginaire musical de Maurice Ravel. Permettre à l’homme qui est derrière l’artiste d’apparaître au cours du développement de son œuvre. L’imbriquer dans les jeux d’influences, les interactions, les enrichissements mutuels consécutifs aux échanges entre artistes du moment tout en lui rendant sa propre stature, soulignant son génie et l’extraordinaire palette de son savoir-faire qu’on aurait grand tort à réduire au Boléro. Ce Boléro, dont Ravel, à tort, dira : ‘sans doute le seul chef d’œuvre que j’aie jamais écrit… malheureusement, il ne contient pas de musique’.

Dans ce imaginaire musical, on découvre un Ravel tendre avec les enfants pour qui il compose ‘Ma mère l’oye’ (1908) ; persévérant malgré les critiques snobillardes qui brocardent son premier ‘Shéhérazade’ (1899) ; impertinent avec ses comparses ‘Les apaches’ qui contre les jurys et les sérieux du monde musical décident de jouer la musique qui les animent, celle qui les rend vrais, authentiques face à eux-mêmes et face au public qui les découvrent et les apprécient. ‘Au fond, dira encore Ravel, l’esprit potache est une manière bruyante, mais sincère, de garder en soi un peu de son âme d’enfant.’

On y rencontre aussi Fauré, Erik Satie, Colette, Isadora Duncan, Debussy et tant d’autres. On y comprend les inspirations, les envolées musicales et toutes les forces de la nature qui s’emballent, s’entrechoquent ou s’emmêlent pour donner corps à la musique, aux rêves et aux livrets qui font, depuis, partie du Répertoire ! Une découverte, un plaisir, un bonheur à vivre et partager !

Un mot, à propos de Aleksi Cavaillez. Cet artiste est sourd. Longtemps, il n’a pas été appareillé et ses premières expériences de l’écoute musicale sont le toucher, les vibrations que la musique communiquait à une bouteille plastique placée entre ses mains.  Son dessin, tout en vibrations, dit quelque chose de cet aspect particulier. En noir et blanc, comme les touches d’un clavier, il peut paraître dur, incomplet, manquant de nuances… Ce serait une erreur de le croire. Son tracé rend ces vibrations d’un monde qui se construit, celui d’une fin et d’un début de siècle ; celui d’une carrière qui se construit, qui évolue ; celui des amitiés fécondes et des oppositions qui, dépassées, font progresser. La vie de Ravel, pour devenir le compositeur dont nous bénéficions maintenant, n’a pu être que vibrations, énergie en mouvement, recherches, ajustements et prise de décisions pour poser les doigts sur les touches à la rencontre de lui-même, de son moi profond encore et toujours en devenir.

L’artifice choisit par les auteurs de cet ouvrage est de situer Maurice Ravel, en fin de vie, désireux de se raconter à son fidèle disciple Alexis Roland-Manuel et, de la sorte, transmettre ce qui fut sa vie, ses combats, ses victoires.  Le noir et blanc, traduit à merveille cette dynamique, ce mouvement. Et, une fois Maurice Ravel mort, le récit se voit complété d’une série de notes, toutes très documentées, toutes illustrées par des dessins se laissant envahir par la sérénité des couleurs révélant l’apaisement d’une finalité gagnée, d’une vie comblée, d’une éternité à savourer. Très beau choix artistique que cette impression soignée par les éditions Seuil- Delcourt.

Je n’ai pu résister à l’envie de me créer une liste de compositions de Ravel que j’ai écoutée en terminant ce livre, notamment les notes qui complètent et recadrent la vie de Ravel et le défi, relevé, d’oser dessiner la musique. A l’heure de rédiger cette chronique, la musique tourne encore… L’entendez-vous ?

Ce qu’en dit l’éditeur :

1936. Ravel entreprend de conter son histoire à son fidèle ami et disciple Roland-Manuel. On assiste à la création de Gaspard de la nuit, de Daphnis et Chloé, du Concerto pour la main gauche et du Boléro. Le musicien se lance dans une évocation bigarrée de sa vie, tissée d’amitiés indéfectibles et de fulgurances musicales, où l’on croise Debussy, Fauré, Ida Rubinstein ou Colette.

Ce qu’en dit la Presse :

RFI: Le Boléro écrit en 1928 par Maurice Ravel, est sans aucun doute, l’une des œuvres les plus jouées au monde. Mais qui était ce génial compositeur, comment est-il devenu l’une des plus figures les plus influentes de la musique française du début du XXème siècle, à quelles sources s’est-il abreuvé, qu’a-t-il apporté à la musique de son temps et à la musique contemporaine ? C’est ce que l’on découvre dans cet album de Bande dessinée, dessiné par Aleksi Cavaillez sur un scénario du pianiste et musicologue Karol Beffa, élu « meilleur compositeur » aux Victoires de la Musique 2013 et 2018 ; et Guillaume Métayer, poète, traducteur littéraire, et chargé de recherches au CNRS. Ravel, un imaginaire musical, est une coédition Seuil/Delcourt.

BDgest: Alors qu’il ne se fait guère d’illusion sur le temps qu’il lui reste, Maurice Ravel demande à son fidèle ami, Alexis Roland-Manuel, de venir lui rendre visite, chez lui, au Belvédère à Montfort-L’Amaury. Six jours hors du temps avec l’un des maîtres de la musique classique du XXème siècle.

À la manière d’un journal, Guillaume Métayer et Karol Beffa s’appuient sur les dernières heures de l’artiste pour revenir, à travers ses souvenirs, sur les différentes étapes de sa vie. Entre formation et consécration, ponctué de rencontres marquantes et d’anecdotes savoureuses, c’est un Maurice Ravel ouvert et généreux que les auteurs dépeignent. Sa musique, sa curiosité, son rapport aux autres et à la création en général. Si les scénaristes prennent quelques libertés (dont ils s’excusent en préface) avec la vérité, ils n’en restent pas moins sincères. L’évocation des souvenirs du Maître est d’autant plus saisissante que le graphisme d’Aleksi Cavaillez, qui publie ici son premier album, s’avère évocateur à souhait. Un noir et blanc charbonneux, une mise en page ambitieuse et un découpage soigné lui permettent de proposer des compositions riches sans jamais perdre en lisibilité.

Même si le principal protagoniste apparaît d’emblée sympathique, le scénario n’a rien d’une hagiographie policée. Colérique parfois, procrastinateur la plupart du temps, les auteurs le peignent aussi exigeant envers lui-même qu’avec ses contemporains, proches ou collègues. Une construction à l’image du portrait qu’ils brossent, raffinée, soignée, elle est surtout très documentée. Une lecture plaisante, complétée par une postface généreuse signée par les scénaristes, qui prolonge le plaisir.

Sous la forme d’un ultime entretien, Ravel, un imaginaire musical se révèle être un livre sensible, plein de pudeur et original d’un compositeur hors du commun. Aleksi Cavaillez, Karol Beffa et Guillaume Métayer offrent un hommage grandiose, plein d’humanité et d’émotions.Par M. Moubariki

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